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la Solitude // Rainer Maria Rilke, le livre d’image
Par rebelle avec coeur dans BONNE VISITE A VOUS BISOUS MERCI POUR VOS COMS le 1 Décembre 2010 à 22:50Et pour en revenir à la solitude, il sera de plus en plus évident qu’elle n’est au fond rien que l’on puisse prendre ou laisser. Nous “sommes” solitaires. On peut se laisser abuser et faire comme s’il n’en allait pas ainsi. C’est tout. Mais comme il serait préférable d’admettre que nous sommes solitaires et partir tout bonnement de cette donnée. Nous sommes pris de vertige, cela se produira sans doute ; car tous les points familiers à nos yeux nous seront retirés, il n’y aura rien de proche, et tout lointain sera infiniment loin. Quiconque, presque sans préparation ni transition, serait transporté de sa chambre au sommet d’une haute montagne éprouverait semblable sensation : une insécurité sans pareille à se sentir livré à l’inexprimé risquerait de l’anéantir. Il s’imaginerait tomber ou croirait être projeté dans l’espace ou éclater en mille morceaux : quel monstrueux mensonge son cerveau ne devrait-il pas imaginer pour récupérer ses sens et y remettre de l’ordre. Ainsi, pour qui devient solitaire, toutes les distances, toutes les mesures changent ; beaucoup de ces changements surviennent brusquement et, comme chez cet homme au sommet de la montagne, naissent alors des représentations extraordinaires et des sensations fantastiques qui semblent dépasser le seuil du supportable. Mais il est nécessaire que nous vivions aussi “cela”. Il nous faut accepter notre existence aussi “vastement” que possible ; tout, même l’inouï, doit y être possible.
— Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poèteJe suis seul. Longtemps je n’ai pas voulu l’admettre, il m’a fallu le vivre pour m’accoutumer à le penser et le dire sans qu’un frisson de désespoir ne traverse. Je suis seul. Encore aujourd’hui, je ne peux le murmurer sans qu’une part de moi ne me renvoie au malheur et à la tristesse - aux châtiments de l’exil. L’autre part au contraire y cherche réconfort et salut - habiter dans l’exil. Mais il n’y a que moi, et je ne suis que dans les interstices ; je me déforme dans ces deux miroirs. Ceux qui professent que la solitude est nécessaire s’aveuglent de croire qu’elle est choisie ; ceux qui la combattent avec énergie font d’elle un adversaire ; plus ils la repoussent, plus son ombre leur parait menaçante.
L’aveu vient souvent, terriblement silencieux, dans le catimini de la conscience - un soupir ; qu’il ne faut pas méprendre pour de la résignation ni du dégoût. Un soupir de fatigue ; il a fallu apprivoiser, ruser avec cette solitude - elle est longtemps devenue à l’intérieur de moi. Et quand elle advint, l’apaisement succéda à l’ébahissement. Je suis seul et je me souviens. Ce fut un moment froid et glacé, j’étais terrorisé - la lutte m’avait rendu habile à détourner mes yeux, mais dans cette pièce nue, l’éléphant avait tellement grossi qu’il obstruait jusqu’au futur. Il m’a bien fallu admettre, et pendant quelques instants cet aveu sonna comme une défaite. J’étais ébahi, les yeux écarquillés sous les paupières, le sol se dérobait, des cris stridents retentissaient - ma mâchoire s’est vivement contractée, ma gorge sèche a avalé brusquement le suc amer du désespoir. Mes bras ballants tombaient jusqu’à terre. J’ai souri et j’ai fait un pas de côté, quelques centimètres à peine, sans bruit ; pour ne pas signifier mon départ. Mais je n’ai pas pleuré, je n’étais arrivé nulle part : j’étais dans l’interstice; mais pour la première fois, je le voulais ainsi. Mon cerveau m’épargna un instant son monstrueux mensonge, le temps de prendre la mesure des choses, de mémoriser un nouvel usage du monde. Cette étincelle de poésie fut d’une totale brutalité. Projeté hors de soi, chacun attend le mur auquel il se frappera. Mais il n’y a de murs que dans notre esprit, que nous dressons temporairement afin de s’abriter de l’inexplicable.
La solitude était sortie du négatif pour entrer dans le positif, elle s’était affranchie des petites morts qui la suivent pour devenir un processus. J’avais appris à désirer la solitude, à la vouloir. Celle-ci s’est depuis transformée, elle a mué au gré des évènements, elle colore de toute sa palette les expériences. La solitude n’est pas un absolu, elle est une croyance. Elle se vit moins qu’elle s’expérimente. Ainsi, elle ne peut être décrite hors de son contexte, elle est à chaque fois une immanence renouvelée. Et il nous faut tout sacrifier à cette croyance - nous “sommes” solitaires, et c’est cela même qui est inouï.
Je suis seul. Dans les volutes de l’entremêlement des solitudes demeure la permanence précaire de nos exils. Rilke est le poète de cette solitude ; exilé et apatride, son oeuvre entière en tente une cartographie délicate.
La solitude est comme une pluie
Elle monte de la mer à la rencontre des soirs,
Des plaines, qui sont lointaines et dispersées
elle va jusqu’au ciel qui toujours la possède
et là du ciel elle retombe sur la ville
Elle se déverse sur les heures indifférenciées
lorsque les rues se tournent vers le matin
Et lorsque les corps qui ne se sont pas trouvés
se détachent l’un de l’autre abusés et tristes
Et lorsque les hommes qui se haïssent
sont obligés de coucher ensemble dans un même et seul lit
Alors la solitude s’en va dans les fleuves
— Rainer Maria Rilke, le livre d’image
Tags : solitude, sans, seul, sommet, j’etais
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Commentaires
C'est un texte très touchant Marie-Christine!! Merci pour ce partage ma bonne amie!!
Gros bisous xxxx
Bonjour ma douce....Alors bien dormie?Moi aussi j'ai ete contente de t'avoir au telp....Nous aujourd hui bien gelé mais pas de neige...Je te souhaite une bonne journée...Enormes bisous douceur...Ton amie Jasmine...
Bonjour Marie-Christine, nous venons sur la pointe des pieds pour te souhaiter une bonne et agréable journée de jeudi en espérant que tu vas bien et que tu as passé une douce nuit sous une couette bien chaude. Courage demain soir c'est le week end. Gros bisous de nous 4.
Creasetcompagniebonne nuit bisous merci pour vos passsages moi je suis un peu débordée lol bisous marie-christine
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Magnifique ton blog j'adore bravo à toi